18 novembre 2011

Google Music : l'ami des artistes

Le lancement de Google Music aux États-Unis annonce le début d'une réorganisation du modèle économique de l’industrie musicale. Rares sont ceux qui l’auront saisi. Ce qu’amène Google à cette industrie est en fait un immense cheval de Troie. Pour les artistes, c’est la proposition d’un partenariat inattendu et la libération d’un milieu artistique assiégé. Voici pourquoi.

Nouvelles technologies, mais ancienne structure Il y a une dizaine d'années, lorsque la dématérialisation de la musique s’amorçait, les artistes rêvaient d’un monde sans intermédiaires entre leur musique et leur public. Tous entrevoyaient une libéralisation du marché de la musique et une démocratisation du métier.

C’est tout le contraire qui s’est produit. Encore aujourd’hui, les grands distributeurs détiennent un accès privilégié aux populaires services de téléchargement en ligne (ex. iTunes, Amazon). Malgré les possibilités technologiques pourtant illimitées, c’est un ancien modèle hiérarchique qui domine toujours la vente de la musique, qu’elle soit physique ou en ligne.

La concentration de l’industrie de la musique s’est d’ailleurs accentuée. Pour un artiste indépendant, c’est en passant par un système de sous-distributeurs que celui-ci arrive à placer ses œuvres sur la plate-forme iTunes de Apple, par exemple. Il existe de tierces parties "économiques" qui y ont accès, mais celles-ci peuvent disparaître du jour au lendemain, faire faillite, causer des retards, compliquer l’administration, et même détourner la musique vers des sites de piratage dans de cas extrêmes. La part de risque est réelle et désagréable. Comme auparavant, c’est donc un ensemble d’intervenants de « l’industrie » qui profitent ainsi des créateurs à coup de barrages administratifs qui, dans le contexte technologique d’aujourd’hui, n’ont plus de sens.

En d’autres mots, la configuration actuelle de l’industrie musicale taxe les plus petits joueurs pour l’accès aux plus gros services de ventes. Cette approche est vouée à l’échec, puisqu’elle étouffe les artistes émergents qui constituent le poumon de cette industrie. C’est aussi extrêmement limitatif pour le consommateur de musique qui a soif de découverte. Rappelons-nous que depuis l’an 2000, l’industrie musicale mondiale vit sur un respirateur artificiel. Son chiffre d’affaires s’est contracté d’environ 60 % en dix ans.

Arrive Google Music
Pourquoi serait-ce alors différent avec Google Music? Parce que Google semble avoir tout compris. Au-delà des éléments typiques de sa boutique musicale, le service Artist Hub de Google Music fait littéralement tomber les murs. Il propose à l’artiste indépendant d’y vendre sa musique directement au consommateur, tout en étant dans une relation d'affaire fiable. Avec le téléversement de sa propre musique sur les serveurs de Google, le musicien émergent pourra ainsi créer sa vitrine et se voir distribuer aux côtés des plus grands.






Bien que ça semble simpliste, même évident, c’est une innovation idéologique qui se faisait attendre. Google ne discrimine donc pas en fonction de la notoriété de l’artiste, ni en fonction de son statut de dépendance à l’industrie musicale, valorisant ainsi chacune des ventes. Google Music ébranle enfin un modèle révolu qui nous était resté de l’époque où l’industrie contingentait l’accès aux détaillants pour des raisons évidentes d’espace physique en magasins. Avec Artist Hub, Google rend le rôle du distributeur complètement désuet, en lui coupant l’herbe sous le pied par une association directe avec l’artiste.

La différence pour les artistes
Rien de nouveau? D’autres services plus marginaux fonctionnent déjà de cette façon. Où est la différence? Avec la popularité quasi assurée de Google Music, et la puissance de sa machine, ce sera l’équivalent pour l’artiste indépendant de se retrouver en vente chez Walmart à côté de la caisse, plutôt qu’au dépanneur du village sur une étagère qui prend la poussière. L’artiste n’aurait qu’à payer un frais unique de 25 $ pour ensuite pouvoir engranger 70 % des revenus de ses ventes, sans intermédiaires. Avec ce genre de conditions stables et favorables pour l’artiste, on verra une explosion de l’offre des musiques spécialisées et l’émergence accrue de succès locaux. L'intégration de ce service avec les autres produits de Google permettra aux artistes de mieux rentabiliser leurs percées sur YouTube et les réseaux sociaux. Avec une telle offre, il y a fort à parier que plusieurs artistes, déjà notoires, feront eux-mêmes le saut vers l’indépendance. Ce sera tout simplement plus profitable.

À cause de son omnipotence et grâce à cette main tendue aux artistes indépendants, Google s’imposera en popularité. Mais surtout, Google réécrira les règles du marché. Gageons que la firme entraînera avec elle tous les autres gros services (iTunes, Amazon, éventuellement Facebook) dans ce nouveau modèle économique.

Pour les artistes, cela veut dire plus de création, moins d’administration; et en théorie, plus d’argent dans leurs poches. Les gouvernements pourront, s’ils le comprennent, se permettre d’injecter davantage de fonds dans les enveloppes créatives, plutôt que pomper des millions dans des infrastructures physiques et virtuelles d’une industrie musicale qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Google s’occupera de l’industrie. Google détient déjà toute l’infrastructure : moteur de recherche, média social, vidéo YouTube, Android Market, création de blogue, présence sur les téléphones mobiles, vaste système de marketing en ligne, et finalement la vente de musique numérique. Cette dynamique hyper convergente, mais accessible au commun des mortels, est unique à Google. Elle nous ramènera aussi à la notion d’achat spontanée de la musique qui fut perdue dans la difficile transition vers la dématérialisation.

L’avenir : une classe moyenne d’artistes
L’avenir à long terme de l’industrie musicale passe par le développement d’une classe moyenne d’artistes, et non plus par l'ascension de méga vedettes sur lesquelles l’industrie mobiliserait l’ensemble de ses ressources. Les médias de masse ont déjà laissé leur place aux médias personnalisés (sociaux). Nous sommes passés de l’époque du « broadcasting » à celle du « narrowcasting ». C’est dans cette optique que devra se développer la nouvelle industrie musicale, si celle-ci désire retrouver le chemin de la prospérité. La bonne nouvelle, c’est qu’un gros joueur du secteur privé (Google) semble reconnaître que le succès économique du milieu musical passe par la démocratisation du développement des artistes.

Bien sûr, il restera à mettre ce système à l’épreuve. Le service prendra aussi un certain temps à s’activer ailleurs qu’aux États-Unis. Il y aura peut-être des ajustements à faire en cours de route. Surtout, comprenons bien l’intérêt de Google. L’entreprise vise à amener l’industrie musicale sur son terrain, d’y élargir la base, pour ensuite favoriser ses activités de ventes publicitaires. Mais c’est de bonne guerre car au moins, cela ce fera avec plusieurs avantages pour les artistes. Si on se fie au génie innovateur de Google dans le développement des affaires sur le Web, il faut s’attendre à rien de moins qu’une petite révolution signée Google Music.

Jean-Michel Ouimet
Président de Klash Média